L’université prépare un plan stratégique de valorisation du français et souhaite consulter les étudiants lors de l’année à venir.
Ari Allen, originaire des États-Unis, compte bien obtenir sa maîtrise en journalisme d’ici l’été prochain. Mais après plus d’un an à Concordia, iel vient tout juste d’obtenir une place dans deux cours de français, après plusieurs tentatives infructueuses.
Ces cours, offerts par GradProSkills et l’Association étudiante des cycles supérieurs de Concordia (GSA), étaient les seules options pour Allen, qui n’a pas pu s’inscrire à ceux du Département d’études françaises, habituellement réservés aux étudiants au baccalauréat.
Allen a essayé de s’inscrire en études libres pour en bénéficier, ce que lui avait conseillé le Département d’études françaises. Le Bureau des étudiants internationaux (ISO) l’a alors mis·e en attente, l’empêchant de s’inscrire à ses cours de maîtrise.
« Je n’étais pas autorisé·e à m’inscrire comme étudiant·e de premier cycle, car mon permis d’études n’est valable que pour les études de second cycle. L’ISO voulait que je m’y rende en personne », raconte Ari, qui est parent et ne pouvait pas se déplacer lors des heures d’ouverture.
Au moment où le problème était enfin réglé, il ne restait plus de places dans les cours donnés au Département d’études françaises. Bien que ce cauchemar administratif ait pris fin, Allen en garde un souvenir amer.
« Ça m’a dégoûté·e, […] ce n’était pas un processus agréable à vivre », dit-iel.
Le cas d’Allen montre à quel point il peut être difficile pour certains étudiants d’accéder aux cours de français de Concordia. Pour essayer de simplifier les choses, l’université a fondé le Bureau de la valorisation du français en juin 2023. Il est chargé de l’élaboration d’un plan stratégique pour la valorisation du français, qui devrait être rendu public dans les mois à venir.
Sa directrice, Claudine Trahan, indique ne pas pouvoir entrer dans les détails du plan pour des raisons de confidentialité, mais souligne qu’il aura pour objectif de « positionner Concordia comme destination et un partenaire clé pour l’ensemble de nos communautés » et de démontrer son engagement « depuis le tout début pour apprendre, vivre et travailler en français ».
Concordia sous pression
Le développement du plan stratégique intervient alors que le gouvernement du Québec met de la pression sur l’université pour atteindre ses cibles de francisation.
À partir de l’année universitaire 2025-2026, Concordia devra faire en sorte que 80 % des nouveaux étudiants au baccalauréat provenant de l’extérieur du Québec, c’est-à-dire les Canadiens hors-province et les étudiants internationaux, atteignent le niveau 5 de français à l’oral à l’issue de leurs études, ce qui correspond à un niveau intermédiaire.
L’Échelle québécoise des niveaux de compétence en français, allant de 1 à 12, indique qu’une personne atteignant ce niveau « comprend l’essentiel de conversations portant sur des sujets courants […] des propos factuels, explicites et concrets formulés dans des constructions syntaxiques simples ou parfois complexes [et] un vocabulaire varié ».
Si l’université n’atteint pas cette cible, le Ministère de l’Enseignement supérieur du Québec pourrait réduire son financement à Concordia.
« La cible s’applique à l’université, et non aux étudiants individuels, souligne Vannina Maestracci, porte-parole de Concordia. Ce qui veut dire, par exemple, qu’un étudiant n’aura pas besoin d’atteindre un certain niveau de français pour obtenir son diplôme, ou encore que des cours de français ne sont pas obligatoires pour étudier à Concordia ».
Les universités anglophones avaient initialement proposé à Pascale Déry, la ministre de l’Enseignement supérieur du Québec, une cible de 40 %. Dans une lettre adressée à McGill, Concordia et Bishop’s, la ministre leur avait répliqué que « pour inverser le déclin du français au Québec, nous pensons qu’il faut impérativement viser des cibles plus ambitieuses ».
En entrevue avec Le Devoir le 14 décembre 2023, Pascale Déry indiquait que l’objectif était de pousser les universités à recruter davantage d’étudiants non-québécois « dans des bassins plus francophones ».
« Nous avons à cœur de promouvoir le français auprès de nos étudiants, dit Maestracci, mais un tel objectif doit tenir compte des investissements et du travail de planification et de conception de programmes sur mesure qu’exige sa réalisation. C’est pour cette raison que nous avons demandé un processus de consultation avant que ces mesures soient mises en œuvre ».
Un comité de travail composé des universités Concordia, McGill et Bishop’s, ainsi que du Ministère de l’Enseignement supérieur, se réunit depuis près d’un an pour discuter de cette cible et d’autres mesures à mettre en place. La publication des ses conclusions n’a pas encore été annoncée.
Écouter les étudiants
Concordia estime que 20 % de sa population étudiante a le français comme langue principale. D’après le recensement des étudiants effectué par la firme de recherche SOM, 71 % des répondants indiquaient avoir un niveau intermédiaire ou avancé en 2023.
« Je ne vois que de l’optimisme de la part de l’ensemble de mes collègues par rapport à la valorisation du français. Il y a un réel engagement, on sent que ce n’est pas quelque chose de futile ou à la mode », estime Trahan.
En 2025, le Bureau de la valorisation du français compte mener des groupes de discussion et des sondages pour identifier les besoins de la population étudiante et « les services qui seront les mieux adaptés à leurs besoins », explique sa directrice.
Allen se dit très satisait·e de ses cours de français, mais pense que l’université devrait réduire le nombre d’étudiants par classe afin de « protéger la qualité de l’enseignement ».
Iel aimerait que des cours soient plus facilement accessibles et disponibles au campus Loyola. Une meilleure communication et visibilité lui seraient également très pratiques.
« J’ai trouvé ces ressources en tâtonnant. Je n’ai pas l’impression que ces ressources étaient bien expliquées aux étudiants internationaux nouvellement arrivés », se rappelle-t-iel.
Centraliser les ressources disponibles pour apprendre le français est l’un des objectifs du Bureau, qui a lancé la plateforme Réussir en français sur le site de Concordia, Instagram et Facebook. Le Centre pour étudiant·es francophones peut également rediriger les étudiants vers les ressources adéquates.
Le Centre pour étudiant·es francophones se veut aussi comme un lieu de rassemblement pour les étudiants francophones de l’université et pour y faire des rencontres, comme l’explique sa coordonnatrice, Olivia Tribert.
« [L’objectif], c’est vraiment faciliter la transition pour les les étudiants qui viennent soit admettons de France, d’Afrique, ou même d’un cégep à Trois-Rivières, qui viennent à Concordia, dit-elle. Souvent, c’est peut-être les seuls de leur groupe d’amis qui viennent ici. »
D’après Trahan, participer à des activités extracurriculaires en français est également une bonne façon de s’améliorer, mentionnant les groupes de conversation, ou encore le concours d’éloquence Délie ta langue.
« C’est une valeur ajoutée de devenir un citoyen du monde et d’avoir plusieurs langues dans son sac à dos », dit-elle.
Retrouvez l’entrevue complète avec Claudine Trahan, directrice du Bureau de la valorisation du français, sur la chaîne YouTube de l’Organe : https://www.youtube.com/@Organe_Conco